January 8th, 2022. Full commentary for Le Soir Interview about the blockbuster movie “Dont’ look up” by C. Nieberding

Il y a beaucoup d’aspects importants dans ce film, mais je préfère aborder ce qui me semble être un vrai changement de paradigme dans le milieu culturel par rapport à la question des crises environnementales, même si cela sort de mon expertise d’écologiste/biologiste. Pour moi, l’aspect le plus novateur de ce film est que des artistes de grande qualité osent enfin s’emparer de la thématique des crises environnementales par le biais, en partie, de l’angle de la Comédie. Ce film nous fait en effet rire avec férocité de la superficialité des décideurs politiques et des stars de la communication, de la vanité aussi des scientifiques, et du conformisme des foules. C’est tout-à-fait nouveau, et salvateur.

Comment la Comédie fonctionne-t-elle ? La Comédie est la technique narrative centrée sur l’irrévérence, la parodie, qui font rire. Pour ce faire, la Comédie change le point de vue de la narration: au lieu que l’histoire soit racontée par un seul point de vue, la Comédie utilise la polyphonie pour raconter sous plusieurs points de vue la même histoire. Ce procédé permet d’inclure la perspective du peuple, ici sous la forme de cette doctorante qui a découvert la météorite et dont l’opinion est en contradiction constante avec la narration proposée par les « dominants », soit le cabinet présidentiel, les stars des media. C’est le contraste entre les points de vue narratifs qui fait rire, et montrer l’absurdité de toute la gestion de la crise.

Que les artistes s’emparent des crises environnementales sous le biais de la Comédie est salvateur car cela amène enfin la démocratie au sein de la narration de notre histoire. En effet, l’approche polyphonique (à plusieurs voix, points de vue ou perspectives) de la Comédie est la mise en pratique du processus démocratique, et de la liberté de pensée qui en découle. La Comédie a de tous temps (depuis qu’on a perdu la partie concernant la Comédie du texte d’Artistote, la Poétique, théorisant sur les styles narratifs) été considérée comme moins importante, mineure par rapport aux styles narratifs avec un seul point de vue dominant, comme l’Epopée ou la Tragédie. C’est seulement au XXieme siècle que quelqu’un, Bakhtine, identifie enfin le rôle salvateur de la Comédie dans la lutte contre le discours dominant et le conformisme de pensée.  

Or, pour trouver une solution aux crises environnementales dans lesquelles nous sommes plongés, il nous faut sortir de de début de siècle marqué par le conformisme de pensée qui s’est répandu en une idéologie unique et mercantile sur tous les continents et où tout est monétarisé. Il nous faut aussi sortir de de début de siècle dominé par la Peur, qui fige toute le monde : peur du prochain crash financier (depuis 2008), peur de la prochaine attaque terroriste (depuis 2015) et peur de la crise sanitaire, pour la dernière en date. Quoi de mieux que le Rire pour libérer de la Peur ? C’est pourquoi la Comédie est si dangereuse pour les élites mercantiles en place. Une fois que nous saurons rire des décideurs, nous pourrons enfin réfléchir sur les solutions par le biais de la démocratie hors du discours dominant. 

Indirectement, le film traite aussi du rapport à la « réalité » où finalement, ce qui est vrai est ce qu’on en raconte à la télé/sur les media sociaux/dans les journaux, soit la « réalité sociale » que partagent le plus grand nombre de gens. Ceci rappelle que les dirigeants utilisent abusivement le mot « réalité », dont l’ « écoréalisme », pour justifier une approche soi-disant pragmatique de la gestion des crises environnementales, et qui consiste surtout à justifier qu’on n’aurait pas les moyens financiers de régler le problème. Mona Chollet dans son livre « La tyrannie de la réalité» explique comment l’usage abusif de ce mot nous empêche de construire l’avenir souhaité de demain. Une fois que nous serons sortis de la Peur et du Conformisme, nous pourrons enfin définir ce que nous souhaitons comme avenir pour nous et nos enfants, en-dehors du cadre absurde de la réalité actuelle. Car ce sont les rêves qui portent les projets de société, et pas la valeur marchande des choses et des gens.